Interview de Vincent Delerm pour les lecteur de Libé

Posted by chris | Posted in , | Posted on vendredi, juin 22, 2007

A l'occasion de la sortie de son troisième album «Les piqures de l'araignée», il a répondu vendredi aux questions des Libénautes.



Nanou: pourquoi avez-vous choisi d'enregistrer votre album en Suède?

Vincent Delerm: c'est venu de Peter von Poehl, qui a sorti un album l'année dernière. Le son de cet album me faisait envie. Je lui ai dit que j'aimerais travailler avec lui. Le son de son disque est très particulier et très lié à ce studio-là, en Suède.

Lolo: quel influence a, sur votre musique, Peter von Poehl?
Il est réalisateur de mon dernier disque. En l'occurrence, Peter a choisi une panoplie d'instruments, de sons, un type de batterie, l'utilisation fréquente du vibraphone par exemple. Le réalisateur, c'est une personne qui suggère des choix comme ceux-là.

Yannick Comenge: La critique dit que votre nouvel album est plus gai, plus enjoué, plus léger. Certains y trouvent une rupture fort agréable avec les précédents. D'où vient cette nouvelle inspiration? De la Suède où vous l'avez écrit? Envie de sortir d'une déclinologie artistique? Un enthousiame lié au bonheur de vivre et de s'épanouir?
En Suède, l'album a été enregistré en dix jours seulement. Les chansons ont été écrites avant, sur une période assez courte, d'octobre à novembre 2005. Effectivement, c'est une période assez légère dans ma vie. J'avais fait deux albums, et surtout deux tournées piano-voix, d'un an chacune. Avec l'impression d'avoir fini avec un premier cycle.

Coachs: qu'est-ce qui vous pousse à écrire une chanson comme Ambroise Paré?
Souvent, les chansons partent de la volonté de mettre une toute petite chose qui peut être juste un mot qui me plaît, une idée.
En l'occurrence, je suis parti de la phrase, qui figure de la chanson «je mange devant toi, c'est très mal élevé» qui était une phrase que j'avais entendu à l'hôpital et qui symbolise pour moi la gêne des personnes hospitalisées.

Bobolemoko: Vincent, ton timbre de voix, c'est uniquement pour te démarquer des autres?
C'est pas loin d'être vrai, en tout cas pour le premier album. Sur un premier album on a souvent l'idée d'essayer d'exister, d'attirer l'attention. Donc c'est probable. C'est également la raison pour laquelle j'ai moins ce timbre aujourd'hui, j'imagine.

Brelos: comment vous définissez-vous par rapport aux autres chanteurs? Quels modèles avez-vous?
D'une façon générale, j'ai du respect pour le métier de journaliste. Je n'aime pas trop définir moi-même ce que je fais. J'ai vraiment le sentiment que ma musique ne ressemble par forcément aux gens que j'ai pu aimer ou écouter. Le rapprochement que je peux faire entre mon parcours et celui d'autres chanteurs est plus lié à une attitude, une façon de faire les choses, qu'aux chansons, qu'à l'écriture elle-même. C'est la raison pour laquelle je cite souvent quelqu'un comme Souchon. C'est vraiment cet aspect-là des choses, le point commun entre des gens qui sont apparus depuis quatre ou cinq ans, une façon de faire de la scène...

Cachemire: n'auriez-vous pas envie d'explorer des univers plus électriques, plus new wave?
On attend souvent des chanteurs qu'ils aillent là où ils ne sont pas censés aller. Je ne sais pas à quoi ça tient. On ne demande pas à un plombier qui vient réparer chez vous, pourquoi il ne se met pas à l'électricité! Même si j'aime bien l'idée d'évoluer, je revendique aussi le droit à une certaine stagnation!

Brelos: Accepteriez-vous de chanter des textes d'autres personnes? Etre interprète, plutôt que parolier?
Une chose qui est surprenante quand on est censé être plutôt tourné vers les textes, c'est qu'on reçoit énormément de textes. Paradoxalement. J'ai toujours bien aimé l'idée qu'un chanteur parle de sa vie, d'une adéquation entre la tête sur la pochette et les chansons. A priori, j'ai plutôt envie d'écrire mes textes.

Brelos: pourriez-vous écrire pour un autre artiste?
A chaque fois que j'ai essayé, dès que la chanson me semblait pas trop mal, je me suis dis, «non, je vais la garder pour moi», je pense manquer d'altruisme pour cet exercice.

Brelos: si vous aviez comme Lavilliers ou Le Forestier à reprendre les chansons d'un artiste, lequel choisiriez-vous?
J'aurais pensé à dire Joe Dassin.

Saiman: étant quercynois d'origine comme vous par votre père, j'aimerais savoir si cette région joue un rôle dans votre musique, une attache, un lieu où se ressourcer?
Un peu, mes grands-parents ont vécu dans le Tarn-et-Garonne. La chanson «Les piqûres d'araignées», dans mon esprit, est une chanson qui se passe dans cette région, entre Montauban et Valence d'Agen, où j'ai passé tous mes étés jusqu'à vingt ans.

Stella: vous qui aimez le cinéma, seriez-vous tenté par la BO d'un film?
Pourquoi ne pas écrire une chanson pour un film. Par ailleurs, c'est un vrai travail de savoir décanter un thème avec plusieurs orchestrations, plusieurs arrangements différents. Je ne sais pas lire la musique, et a fortiori pas l'écrire... ce n'est juste pas possible.

Stella: quelle est la forme musicale que vous avez choisie pour vos concerts, grande formation ou formation intimiste?
On sera six sur scène. Il y a une basse, batterie, trompette, violon, violoncelle, et moi. Sortant du piano-voix ça me semble une grande formation.

Seb: que pensez-vous de l'autoproduction (comme Mano Solo qui a choisi de se passer de maison de disques et de vendre ses disques via son site internet). Est-ce une démarche qui pourrait vous attirer ?
Non, ça demande énormément d'énergie. L'énergie d'occuper tous les postes. Je suis dans une maison de disques indépendante, dont l'équipe n'est pas immense, mais suffisante pour m'aider dans les choix de pochettes, des studios d'enregistrement, des musiciens.
J'ai moins l'impression d'être en guerre contre la terre entière, c'est ça qui me fait un peu peur dans l'autoproduction.

Seb: refusez-vous par principe de participer à des actions caritatives ou de vous engager pour des causes (les sans-papiers, etc.) ?
Non, ça serait étrange en l'occurrence... Certaines de ces actions sont médiatisées et visibles, d'autres le sont moins, mais tout aussi importantes. Quand la Ligue contre le cancer de l'Orne, me demande de venir jouer deux soirées, ce que j'ai fait l'an dernier, c'est certain qu'on n'y va pas pour être retransmis en direct sur TF1.

Youplaboum: que pense votre père de votre carrière jusqu'à maintenant?
Je n'envisage pas trop mes parents séparément. Il se trouve que la position de mon père sur ma carrière est liée au rapport qu'ils ont tout les deux, depuis toujours, avec la chanson. Je les ai toujours entendus considérer l'écriture de chansons comme un exercice d'écriture à part entière. Et probablement ça m'a aidé à me tourner vers ce genre-là, sans complexe vis-à-vis d'eux qui écrivaient des bouquins.

Source : Liberation