Interview pour RFI

Posted by chris | Posted in , | Posted on mercredi, décembre 07, 2011


RFI Musique : Vous préparez un spectacle inédit aux Bouffes du Nord à Paris. À quoi doit-on s’attendre ?
C’est un spectacle qui mêlera le théâtre, la vidéo, et des chansons entièrement nouvelles. Lors de la dernière tournée, je me suis dit que ce serait la dernière fois. J’ai déjà fait quatre albums suivis d’un an sur les routes, et la proportion de nouvelles chansons devenait de plus en plus faible dans mes concerts. Cela m’ennuyait un peu. Je suis encore trop jeune pour vivre sur mes succès passés. Là, ce n’est plus un concert mais un spectacle, et il n’y aura aucun vieux morceau. Pour que cela soit accepté par les fans, il fallait trouver un concept, une scénographie, une histoire. Je jouerai un personnage un peu angoissé, qui s’interroge sur le temps, et se décide à sortir, déambuler dans la ville pour échapper au repli sur soi. C’était aussi un prétexte à créer sur scène de fausses expos, de faux films. Ce sera un spectacle global. C’est aussi un soulagement pour moi d’écrire des chansons faites pour être entendues une seule fois. Cela me rappelle un peu mes débuts, sur scène et dans les médias, où il fallait que je séduise tout de suite des gens qui ne me connaissaient pas. J’avais besoin de retrouver cette sensation.

En marge du spectacle, sort Léonard a une sensibilité de gauche. D’où vient cette idée d’un livre-disque pour enfants ?
Je me souviens avoir envoyé un texto à ma maison de disque, il y a quelques mois, en leur disant : "J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne, c’est que j’ai enfin une idée de livre pour enfants. La mauvaise, c’est que ça s’appellera Léonard a une sensibilité de gauche !" En fait, j’avais depuis longtemps accepté de faire un livre pour enfants pour la collection jeunesse de Tôt ou Tard, qui a de très bonnes signatures, comme Franck Monnet. Mais je tournais un peu en rond. Et puis ce titre m’est venu. De là, j’ai dénoué le fil de toute l’histoire : un grand-père qui tente d’expliquer à son petit-fils les différences entre la sensibilité de gauche et celle de droite.

Le métier de votre mère, conceptrice de livres pour enfants, vous a-t-il aidé dans cet exercice ?
Je ne crois pas, non. Ma mère fait cela depuis toujours, comme une sorte de spécialisation. Ce n’est pas mon cas. On dit que chacun porte trois chansons en lui, il faut croire que je portais en moi un livre pour enfants ! Ça m’a beaucoup amusé, mais je ne suis pas sûr d’avoir ouvert une brèche pour la suite de ma carrière.
L’écriture "jeunesse" est un exercice assez délicat, périlleux. Il faut pouvoir travailler la langue pour retranscrire la pensée d’un enfant, et faire passer un peu de soi en même temps. J’ai toujours admiré Goscinny pour cela. Le Petit Nicolas a une pensée et une syntaxe enfantines, mais on y perçoit aussi une sensibilité adulte.

Le travail d’illustration est particulièrement réussi…
C’est l’œuvre de Blanca Gómez, une dessinatrice espagnole. Quelqu’un dont j’avais les posters chez moi, dans la chambre de mes enfants, mais que je ne connaissais pas. J’aime beaucoup son approche très pure, ces personnages noirs sur fond blanc avec un simple détail de couleur. C’est assez daté, seventies, et en même temps très intemporel, tout ce que j’aime. Le fait que Jean Rochefort ait accepté d’être le narrateur était très important aussi. Je voulais un livre sans âge.

Revenons sur cette différence entre droite et gauche : vous semblez volontairement laisser les jeunes lecteurs dans le flou…
Parce que les hommes politiques restent eux-mêmes flous sur les concepts qu’ils manipulent. On attend d’eux des signaux idéologiques forts, mais ça ne vient jamais. J’ai donc pris le contre-pied avec des exemples très concrets, tirés de la vie quotidienne : les repas de famille, l’hygiène de vie…Évidemment, l’angle est plutôt humoristique et ironique, lorsque le grand-père explique qu’un poulet de droite se lave les dents pendant 3 minutes et pas 45 secondes, qu’il met de l’argent de côté ou fait du secourisme ! Je ne cherche pas à trancher le débat, simplement à le provoquer. L’élément vraiment central en revanche, c’est la notion de mélancolie, cette idée que la sensibilité de gauche pousse plutôt à l’inaction, à la contemplation. Les gens de droite autour de moi ne revendiquent pas tellement la mélancolie.